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MOT DE LA PRÉSIDENCE

MOT DE LA PRÉSIDENCE


Par le Dr Éric Poulin, optométriste et président


 

Courage M. Dubé

Au moment d’écrire ces lignes, le gouvernement vient de faire 
marche arrière sur l’obligation vaccinale de tous les intervenants
de la santé et des services sociaux.

 

Sans vouloir épiloguer sur les causes et les conséquences de cette volte-face, force est de constater que notre système de santé est fragile et incapable de résilience, que ce soit suite à une augmentation de la demande ou par un manque de personnel pour assurer son fonctionnement.

Ce n’est malheureusement pas une situation nouvelle, tant s’en faut.

Dans la foulée, le gouvernement Legault promet de modifier le système de santé en profondeur d’ici l’an prochain et annonce qu’il déposera cet automne un projet de loi “mammouth” pour y arriver.

Au dire du ministre Dubé : « c’est fini, les grosses structures qu’on démolit et qu’on rebâtit (...) on est capables de faire des transformations sans jouer dans les structures. » Il semble plutôt miser sur des changements dans les conditions et l’organisation du travail, soulignant l’apport des pharmaciens à la vaccination comme un exemple de décloisonnement dans le milieu de la santé.

Il serait rafraîchissant en effet si les quelques récentes initiatives visant à faire plus de place aux divers professionnels de la santé, notamment les infirmières praticiennes spécialisées, les physiothérapeutes et les pharmaciens, faisaient boule de neige et devenaient la norme afin de permettre aux différents intervenants du milieu de la santé de jouer un rôle à la hauteur de leur compétence et de leur expérience.

 

LE SENS DES MOTS

Inter, trans, multi, pluri et intra. Tous des suffixes utilisés en conjonction du mot disciplinarité pour en changer ou en préciser le sens.

Utilisés à profusion comme leitmotiv par différents intervenants depuis plusieurs années et présentés comme la solution à tous les maux du système de santé, ils ne sont souvent que des vœux pieux qui se heurtent à la dure réalité : il y a beaucoup de résistance aux changements et l’inertie du système, qui repose sur une vision médico-centrée, permet difficilement de faire de la place à d’autres professions.

Les changements apportés au nom de cette interdisciplinarité ne sont souvent que cosmétiques puisqu’ils ne réussissent pas à s'incarner dans la réalité.

Ainsi en est-il des privilèges thérapeutiques obtenus par les optométristes au cours des dernières années. Bien que répondant à des besoins criants et au diapason de cet esprit d’interdisciplinarité et de décloisonnement des soins, force est de constater que nous sommes encore en marge du système.

L’interdisciplinarité n’est encore, pour l’instant, qu’un mot vide de sens en ce qui concerne les soins oculovisuels.

LA RÉALITÉ

À la fin de 2020, les optométristes québécois ont été appelés à remplir un sondage de suivi sur les nouveaux privilèges thérapeutiques. Ce sondage, je vous le rappelle, était une réédition de celui de 2018 et visait à mesurer l’évolution de la pratique optométrique en lien avec nos nouveaux privilèges thérapeutiques.

Plus de 40% des optométristes ont répondu au sondage ce qui nous permet d’avoir une image assez précise des divers enjeux soulevés.

Voici en vrac certains résultats de notre sondage qui montrent à quel point la situation, loin de s’améliorer, tend à se dégrader, pandémie aidant.

  • Près de 65% de nos membres qualifient l’accessibilité en ophtalmologie dans leur région de variable à très difficile, en progression de presque 10% depuis 2018.
  • 40% des répondants doivent référer à des ophtalmologistes à l’extérieur de leur région puisque des conditions ne seraient pas prises en charge dans la leur.
  • 55% des optométristes disent éprouver des difficultés à référer leurs patients à un ophtalmologiste ou avoir des difficultés de collaboration avec ceux-ci. Données également en augmentation.
  • Sans étonnement, c’est encore le fax qui est le moyen de communication usuel (et anachronique!) pour référer les patients vers les services de deuxième ligne.
  • Pour les cas urgents, c’est vers les urgences hospitalières que la majorité des patients sont aiguillés, faute d’alternatives, et ce, au grand damne des urgentologues (comme en font foi de nombreuses plaintes de ces derniers auprès de l’Ordre).
  • À la question visant à évaluer la collaboration entre les ophtalmologistes et les optométristes, moins de 10% des répondants ont actuellement un protocole de collaboration avec des ophtalmologistes de leur région.
  • 44% jugent également inadéquat le partage d’informations entre eux et les ophtalmologistes.
  • 88% des répondants au sondage jugent que le fait pour un patient de devoir défrayer les coûts pour le traitement et le suivi de glaucome est un frein à la consultation chez l’optométriste, étant donné que ces frais sont couverts lors des prises en charge par un ophtalmologiste.

 

CENT FOIS SUR LE MÉTIER…

Les résultats de ce sondage, quoique décourageants, ne sont une surprise pour personne. Trop de restrictions réglementaires et trop peu d’autonomie professionnelle empêchent les optométristes d’être de réels partenaires du système de santé.

Mais tout n’est pas noir. Plusieurs initiatives sont actuellement en cours visant à améliorer les soins aux patients et les optométristes sont parties prenantes de celles-ci.

D’abord nous poursuivons les échanges avec nos vis-à-vis du Collège des médecins pour la révision des guides cliniques limitant indûment nos interventions auprès des patients et nous empêchant de jouer un rôle utile dans le désengorgement du système de santé.

Ensuite des discussions sont en cours avec le Ministère de la Santé (MSSS) dans le cadre de consultations afin d’optimiser la trajectoire du patient vers les services en ophtalmologie et améliorer l’accès aux soins.

D’autres chantiers sont aussi à prévoir puisque certaines professions voudraient voir les optométristes faire partie d’équipes multidisciplinaires en centre de réadaptation pour que, en plus de s’occuper du volet de déficience visuelle, les optométristes participent à l’évaluation et à la réadaptation des patients ayant subi un traumatisme crânien.

Des initiatives individuelles de collègues ophtalmologistes visant à introduire les optométristes dans les centres hospitaliers, pour aider la prise en charge des urgences et les traitements de première ligne, existent également.

Les problèmes de pénurie de main-d'œuvre à tous les niveaux font également partie de l’équation à résoudre pour améliorer les soins. Le vieillissement de la population, l’évolution des technologies et des solutions thérapeutiques ainsi que le manque de médecins spécialistes amènent une pression sur le système, qui pourrait être réduite avec l’apport des optométristes.

Mais pour ce faire, une augmentation du nombre d’optométristes sera nécessaire pour répondre à la demande grandissante pour nos services. Il nous faudra aussi travailler avec nos vis-à-vis de l’Ordre des opticiens d’ordonnances pour nous attaquer au problème de pénurie d’opticiens en lien avec le trop faible nombre de diplômés et, selon ce qui nous est rapporté, l’effondrement du nombre d’admissions à ce programme dans les différents cégeps. Cette pénurie, qui se superpose à l’impossibilité actuelle d’inscrire au registre de l’Ordre de nouvelles assistantes optométriques pour le volet lunetterie, risque d'entraîner des ruptures de services qui inquiètent déjà plusieurs.

Participer à l’évolution d’une profession consiste souvent à remettre le travail sur le métier au gré des changements et des situations. La crise actuelle nous offre cette opportunité.

VERS UN VRAI CHANGEMENT ?

Les changements majeurs annoncés par le ministre Dubé visant à réorganiser et à décloisonner le système de santé sont louables.

Souhaitons que le gouvernement ait le courage d’aller jusqu’au bout de ses idées et que ce décloisonnement permette finalement que différents professionnels puissent participer pleinement, à la hauteur de leurs compétences et de leur expertise, à la santé de la population québécoise.

Mais pour que nous puissions faire une différence dans la qualité des soins et participer au désengorgement du système de santé, il ne faut pas seulement donner la possibilité de traitement et de prise en charge des problèmes oculaires aux optométristes. Il est impératif que, comme cela a été fait avec la CNESST, une couverture conséquente de la RAMQ des divers actes que nous serons appelés à réaliser soit instaurée. Un patient devrait pouvoir choisir son professionnel en fonction de sa condition, non pas en fonction de son portefeuille.

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